La modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur : Un motif légitime de prise d'acte de rupture ?
- T2F-RH
- 25 mars
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La Cour de cassation rappelle les conditions nécessaires pour qu'une telle rupture produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La relation de travail repose sur un contrat liant l'employeur et le salarié, définissant les droits et obligations de chaque partie. Toute modification de ce contrat nécessite, en principe, l'accord des deux parties. Cependant, il arrive que l'employeur procède unilatéralement à des modifications, ce qui peut conduire le salarié à prendre acte de la rupture du contrat. La question se pose alors de savoir si cette prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 19 mars 2025, s'est prononcée sur cette problématique. Cass. soc. 19 mars 2025, n° 23-18792
I. La prise d'acte de la rupture du contrat de travail
A. Définition et régime juridique
La prise d'acte est une démarche par laquelle le salarié considère que les manquements de l'employeur sont tels qu'ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail. Elle entraîne la cessation immédiate du contrat, le salarié saisissant ensuite le juge pour voir qualifier cette rupture. Si les manquements de l'employeur sont avérés et suffisamment graves, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, elle s'analyse en une démission.
B. Conditions de validité
Pour que la prise d'acte soit reconnue comme justifiée, les manquements invoqués doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Il peut s'agir, par exemple, du non-paiement des salaires, du harcèlement moral, ou encore de la modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur.

II. La modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur
A. Distinction entre modification du contrat et modification des conditions de travail
Il est essentiel de distinguer la modification du contrat de travail de la modification des conditions de travail. La première nécessite l'accord du salarié, car elle touche aux éléments essentiels du contrat (rémunération, durée du travail, lieu de travail, etc.). La seconde relève du pouvoir de direction de l'employeur et peut être imposée, sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits du salarié.
B. Conséquences d'une modification unilatérale
Lorsqu'une modification du contrat de travail est imposée unilatéralement par l'employeur sans l'accord du salarié, ce dernier peut refuser cette modification. Si l'employeur maintient sa position, le salarié peut prendre acte de la rupture, considérant que l'employeur a manqué à ses obligations contractuelles.
III. Illustration jurisprudentielle : l'arrêt du 19 mars 2025
A. Les faits
Dans cette affaire, une salariée, en arrêt maladie depuis plusieurs mois, a été informée par son employeur d'une réorganisation entraînant une réduction de sa zone de prospection.
L'employeur lui a indiqué que cette réorganisation ferait l'objet d'un avenant à son contrat de travail à son retour. Estimant que cette modification était imposée sans son accord, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat.
B. La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation a considéré que la modification unilatérale du contrat de travail constituait un manquement grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat, et ce, même si le contrat était suspendu depuis plus de sept mois en raison de l'arrêt maladie. Ainsi, la prise d'acte de la salariée a été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
IV. Exemples d'illustration basés sur des arrêts récents de la Cour de cassation
A. Modification unilatérale des conditions de rémunération
Dans un arrêt du 10 juillet 2019, la Cour de cassation a jugé que la menace de l'employeur de diminuer le commissionnement des commerciaux refusant une modification de la structure de leur rémunération constituait un manquement grave. Bien que les modifications n'aient pas été mises en œuvre, la simple menace a été suffisante pour justifier la prise d'acte du salarié, produisant les effets d'un licenciement nul.
B. Modification ancienne tolérée par le salarié
Dans un arrêt du 13 avril 2016, la Cour de cassation a considéré que la modification unilatérale du contrat de travail imposée en 1991 et tolérée par la salariée jusqu'en 2012 ne pouvait justifier une prise d'acte. Le manquement étant ancien et toléré, la prise d'acte a été requalifiée en démission.
C. Modification des fonctions et du secteur géographique
Dans un arrêt du 26 juin 2019, la Cour de cassation a examiné le cas d'un salarié dont les fonctions et le secteur géographique avaient été modifiés unilatéralement par l'employeur. La Cour a retenu que la modification profonde du contrat de travail sans l'accord du salarié constituait un manquement grave justifiant la prise d'acte, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Conclusion :
La modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur, sans l'accord du salarié, peut constituer un manquement grave justifiant une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Toutefois, l'ancienneté du manquement et la tolérance du salarié peuvent conduire à une requalification de la prise d'acte en démission. Il est donc essentiel pour les employeurs de recueillir l'accord explicite des salariés lors de modifications substantielles de leur contrat de travail afin d'éviter des contentieux.