La rupture abusive de relation commerciale : un risque majeur pour les entreprises
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La vie des affaires repose sur des relations de confiance entre fournisseurs, distributeurs, prestataires et clients. Mais il arrive qu’une entreprise mette fin à une relation commerciale de façon brutale ou sans préavis suffisant. Dans ce cas, elle s’expose à des sanctions sévères sur le fondement de l’article L. 442-1, II du Code de commerce.
1. Qu’est-ce qu’une relation commerciale établie ?
La loi protège uniquement les relations considérées comme stables, suivies et régulières.
Il peut s’agir d’un contrat écrit (contrat de distribution, sous-traitance, prestation de services),
mais aussi d’une relation tacite, par exemple un fournisseur qui travaille depuis plusieurs années avec un même client sans contrat formel.
Exemple : La Cour de cassation (Com., 15 septembre 2009) a jugé qu’une relation de 5 ans de commandes régulières constituait une relation commerciale établie, même sans contrat écrit.

2. Quand parle-t-on de rupture abusive ?
Une rupture est dite abusive ou brutale lorsqu’elle intervient :
Sans préavis écrit,
Ou avec un préavis insuffisant au regard de la durée de la relation et du volume d’affaires.
La loi impose un préavis raisonnable, qui doit permettre au partenaire évincé de retrouver des débouchés.
⚠️ Attention : Même la réduction progressive du volume des commandes peut être qualifiée de rupture partielle abusive (Cass. com., 6 septembre 2016).
3. Quelle durée de préavis prévoir ?
La loi ne fixe pas de durée précise. Les juges apprécient au cas par cas, selon :
L’ancienneté de la relation,
La dépendance économique du partenaire,
Le secteur d’activité.
Exemple : Une relation de 10 ans ne peut pas être rompue du jour au lendemain. Les tribunaux exigent souvent un préavis de 12 à 18 mois dans ce type de situation.
4. Quelles sanctions en cas de rupture abusive ?
L’auteur de la rupture peut être condamné à indemniser son partenaire pour :
la perte de chiffre d’affaires pendant la durée du préavis manquant ;
les investissements spécifiques réalisés (ex. : machines adaptées, recrutement dédié).
L’action en responsabilité est civile et relève du tribunal de commerce.
Exemple chiffré : un distributeur évincé après 8 ans de collaboration sans préavis a obtenu plus de 500 000 € d’indemnisation correspondant au chiffre d’affaires qu’il aurait pu réaliser pendant 12 mois de préavis.
5. Comment sécuriser ses relations commerciales ?
Pour limiter le risque :
Formalisez les contrats avec des clauses de durée et de préavis claires ;
Évitez les situations de dépendance économique ;
En cas de rupture nécessaire, notifiez là par écrit avec un préavis adapté.
6. Illustrations récentes
Voici quatre jurisprudences récentes (2024–2025) en matière de rupture abusive de relation commerciale (rupture brutale), avec leurs faits saillants et les sources correspondantes :
A. Cour de cassation — Décision du 19 mars 2025 (relation de 28 ans)
Faits : Une licence exclusive de lunettes entre Chevignon et un cocontractant, reconduite par contrats successifs sans mise en concurrence pendant 28 ans.
Jurisprudence : La Cour de cassation juge qu’un préavis de 4 mois est insuffisant, malgré la présence d'une clause contractuelle de résiliation anticipée. Il s'agit donc d'une rupture brutale et fautive. Chevignon est condamnée à verser plus de 230 000 € au titre de la perte de marge brute.
B. Cour de cassation — Arrêt du 19 mars 2025 (relation de 23 ans, préavis anticipé et progressif par Décathlon)
Faits : Fournisseur fournisseur depuis 23 ans, avec une baisse progressive des commandes à échéancier clair jusqu’en 2021, soit 35 mois de préavis.
Décision : La Cour confirme que la rupture n’est pas brutale, soulignant la progressivité, l’anticipation et un préavis largement supérieur aux usages, en l’absence de dépendance ou d’investissements spécifiques.
C. Cour d’appel de Paris — Arrêt du 18 octobre 2024 (affaire Ardisson / Canal+)
Faits : Rupture d’une relation commerciale entre Canal+ (chaîne C8) et Thierry Ardisson (production audiovisuelle).
Décision : La Cour d’appel condamne C8 à verser environ 2 910 840 € pour rupture brutale, en retenant que la relation de plus de 3 ans, stable et croissante, justifiait un préavis d'environ 12 mois, mais aucun n’a été accordé. Elle confirme une indemnisation sur la base de la marge sur coûts évités.
D. Cour de cassation — Arrêts du 12 mars 2025 (compétence juridictionnelle internationale)
Faits : Deux litiges concernant la rupture brutale de relations commerciales internationales : l’un entre une entreprise française et un importateur américain, l’autre entre une entreprise française et une société chypriote.
Décision : La Cour statue que l’action pour rupture brutale est de nature délictuelle, non contractuelle, ce qui impacte les règles de compétence juridictionnelle, notamment hors UE, où la compétence peut être retenue en France. Des précisions sont aussi apportées pour les litiges intra-UE, en lien avec les règlements Rome II et Bruxelles I.
À retenir
Une relation commerciale établie bénéficie d’une protection légale, même sans contrat écrit ;
La rupture doit toujours être précédée d’un préavis écrit et suffisant ;
Le non-respect de cette obligation expose à de lourdes indemnisations.
Les dirigeants doivent sécuriser leurs contrats pour anticiper les risques.